Avez-vous déjà entendu cette chanson de Boris Vian écrite en 1955, « La complainte du progrès » ? Un aspirateur, une tourniquette à faire la vinaigrette, des draps qui chauffent, un pistolet à gaufres, …. Et nous serons heureux ! L’écologie étant devenue notre nouvelle conquête, on pourrait à présent changer les paroles en : un panneau solaire, un échangeur thermique, une voiture électrique, …. Et nous serons écolos !

Nos parents ont couru en leur temps un lièvre qu’ils n’ont jamais pu attraper. Est-ce que la génération actuelle atteindra son objectif écologique ? Je le lui souhaite de tout mon coeur. Mais pour avoir une chance d’y parvenir, elle doit avant tout se poser les bonnes questions.

Quand je quittai l’école à 20 ans sans diplôme en poche, pour, disais-je autour de moi, tenter de comprendre le monde dans lequel je vivais, on m’incita à consulter un médecin. J’y allai. Celui-ci diagnostiqua un « A quoi bon ». En effet, les études ne m’intéressaient pas, le travail non plus. Il avait posé son diagnostic, mais aucun remède à proposer. Alors je partis découvrir le monde.

Il me suffisait de travailler deux mois pour couvrir mes dépenses d’une année. En partant avec mon sac à dos, je me rendis rapidement compte que l’école ne m’avait rien appris d’essentiel. J’avais certes un cerveau en ordre de marche qui pouvait pondre un raisonnement, mais aucun début d’explication sur le sens de la vie, ou de ma place dans le monde. J’étais en butte à de nombreuses questions existentielles sans personne pour y répondre. Ces questions étaient étrangement occultées par mes ainés. Et il en est toujours de même aujourd’hui, vous pouvez faire le test.

« Si vous croyez qu’on a le temps de se poser ce genre de questions!? Cherchez vous un travail mon petit ! »s’agaçait-on

La seule personne qui me répondit fut un vieux religieux de l’Ermitage du Père de Foucault, au sommet de l’Assekrem, dans le Hoggar Algérien. Lui, me dit-il, avait cherché toute sa vie un but à son existence, et il avait fini par le trouver. Il le dit d’une telle manière, avec une telle sérénité, que je le crus sans explications supplémentaires.

« Continue à chercher, me dit-il, tu es sur la bonne voie. »

J’en garde un souvenir ému car c’était, après des années d’errance post scolaire, la première personne qui m’encourageait dans cette voie !

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Ermitage de Père de Foucault à L’assekrem

Quelques mois plus tard, je me retrouvais dans un petit village au nord du Bénin. J’avais sympathisé avec un jeune de mon âge qui m’invita à rester chez lui. J’y passai presque une année. Dans ce village, je m’aperçus que les questions existentielles se posaient ouvertement et fréquemment, et qu’elles étaient traitées avec le plus grand sérieux par les anciens. Il y avait autour du chef du village, une sorte de conseil de vieux « sages » (plutôt du genre égrillards !). Les jeunes n’étaient pas envoyés pas sur les roses quand ils posaient leurs habituelles questions tordues. Au contraire, les anciens délibéraient parfois plusieurs jours avant de trouver une réponse appropriée.

Il faut dire que les vieux passaient toute leur journée à palabrer sur la place centrale du village, là où on l’on voyait passer tout le monde. Ainsi chaque membre de la communauté était suivi de près, jusque dans ses plus intimes questionnements. Ceux qui présentaient les signes bien connus de la « voyagite », étaient détectés assez tôt. Ce sont eux que le village désignait pour aller à l’aventure. Ils s’élançaient alors, gonflés à bloc par l’espoir de toute leur communauté de les voir réussir. J’étais un peu jaloux car c’était le meilleur des viatiques, mais d’un autre côté, eux partaient sans passeport…

Un marché se tenait tous les lundis. Les villages environnants venaient vendre ou échanger quelques produits, et surtout palabrer. Peu d’argent circulait dans les poches des boubous, mais les discussions étaient interminables. En définitive, au terme de plusieurs heures de marchandages, on trouvait souvent plus simple de troquer ses produits que de les monnayer. Beaucoup de travaux se faisaient collectivement comme les récoltes du coton ou le labour. Le propriétaire du champ préparait un bon repas et tous les voisins venaient l’aider pour la journée. Le lendemain, la joyeuse bande passait dans le champ du voisin. L’organisation sociale de ce village était aussi minutieuse qu’une horlogerie suisse

Cette société traditionnelle évoluait lentement, avec prudence et circonspection. Toute nouveauté, trouvaille, idée révolutionnaire, dont les jeunes ont, en général, l’initiative, était étudiée, pesée par les anciens avant d’être adoptée ou rejetée. On prenait toutes les précautions. Cela pouvait faire des jaloux, rompre des équilibres subtils, en enrichir un pour en appauvrir dix… Rien ne pressait après tout ! Ils avaient coutume de dire : vous (les Blancs) avez l’heure, nous avons le temps.

Ainsi, la vie déroulait agréablement son écheveau, rythmée par les fêtes de baptêmes, de mariages, et d’enterrements. Un jour, un vieux vint chez mon ami pour faire ses salutations. Cela prit une bonne demi-heure car il devait s’enquérir de tous les membres de cette famille nombreuse, et réciproquement. Il me salua également d’une manière que je trouvai étrange. Il passa ainsi dans toutes les maisons du village. Le lendemain, on le retrouva mort au pied de son arbre. Il avait eu l’élégance de dire au revoir, mais cela signifiait surtout qu’il était resté maître de son temps, et avait tenu à le montrer. Il y eut une fête mémorable qui dura une semaine. On célébrait grandement la mémoire de l’ancêtre, car on attendait de lui qu’il garde un œil bienveillant sur la communauté.

Dans la politique du village, le pouvoir exécutif était indissociable de l’autorité morale et spirituelle. C’était les mêmes qui délibéraient et décidaient, à la lumière du temps et même de l’éternité, car les ancêtres étaient souvent consultés pour les cas les plus compliqués. La sagesse était bien plus louée que la richesse, car c’est elle qui guidait la communauté vers sa destinée.

Dans ce village, je vécus hors du temps, et par là même, connus un immense apaisement. Mon « A quoi bon » avait disparu. Je ne savais pas encore où aller, ni quoi faire, mais je savais déjà comment j’allais vivre. Ici j’avais pu me réapproprier le temps, tandis qu’en France, on fonçait à grande vitesse vers un objectif dont personne n’avait pu me donner une définition sensée. Toute innovation se devait d’être mise sur le marché le plus rapidement et radicalement possible, de peur que les concurrents ne nous devancent. La précipitation était de mise, les questionnements écartés, toute prudence méprisée. Le pouvoir exécutif était entre les mains de bêtes de scène, qui vivent à 400 à l’heure. Comme si on vivait plus en allant plus vite ! Ainsi, vu de mon village africain, il n’était pas du tout étonnant que nous (les Blancs) précipitions le monde à sa perte.

Au village aujourd’hui, les vieux rigolent. Dans cette course à l’écologie, comme dans la fable de la Fontaine, la tortue est en avance. Elle applique déjà le principe de précaution, pratique le développement durable, l’économie collaborative, le troc et le commerce de proximité, ne rejette ni déchet, ni CO2 ….

Je ne saurais dire si l’administration d’un village peut s’appliquer au monde, mais cette société-là possède au moins une qualité essentielle, qui nous échappe totalement, que ce soit sur le plan individuel ou collectif : la maîtrise du temps. Nous avons l’heure, mais plus le temps, le compteur tourne mais nous ne pouvons pas l’arrêter. On fonce maintenant vers cette nouvelle révolution, écologique dit-on, dans un véhicule qui n’a plus aucun frein…

« C’est bien beau tout ça, mais que pouvons-nous faire ? » me direz-vous.

Je n’ai pas de conseils pratiques à donner aux jeunes d’aujourd’hui. Tout comme ce vieux religieux de l’Ermitage du Père de Foucault, je peux seulement colporter sa Parole en affirmant que tout commence par un « A quoi bon ». Et Bonne Nouvelle, cet « A quoi bon » est contagieux.

Gilet jaune, j’entends que tu manifestes en France, que tu te plains des augmentations d’ impôts, et des taxes en tout genre, de la hausse du coût de la vie, de la baisse de ton pouvoir d’achat. Tu dis ne plus pouvoir joindre les deux bouts, et être obligé de bouffer de la merde pour vivre. Tu te plains d’être de plus en plus pauvre au lieu d’être de plus en plus riche comme c’était prévu par la croissance. Ta colère, dis tu, c’est le vase qui déborde, car cela fait des années voire des décennies qu’il se remplit de toutes tes déceptions.

Moi, je suis un français résidant au Mali. C’est un poste d’observation particulièrement intéressant dans cette affaire.

Dans ma cour à Bamako, nous avons un poste de télévision public, où les désoeuvrés se retrouvent le soir (j’ai limité la jauge à 20 places si c’est ta question…). Nous recevons les chaines francophones comme TV5 monde et France 24, qui nous informent de ce qu’il se passe en France en temps réel. Alors sache que les Gilets jaunes sont devenus un sujet qui nous passionnent ici, et les commentaires vont bon train dans le public, surtout lors des interviews de manifestants.

Je suis, pour ma part, plutôt satisfait que les africains aient une autre image de la France que celle d’Epinal. Qu’ils comprennent qu’il y a aussi beaucoup de pauvres là-bas, des millions de pauvres, et de toutes les origines. Cela nous rapproche, nous devenons ainsi « frères dans la galère ». Mais pour les maliens, voir les français descendre dans la rue pour crier leur misère est déconcertant.

Un jour, nous entendons le témoignage d’une jeune femme blanche de 30 ans environ. Elle disait qu’elle ne pouvait pas s’en sortir avec 1200 euros par mois avec ses 2 enfants. Stupeur dans l’assistance ! Convertis en francs CFA, cela fait plus de 800 000 !! Mes voisins touchent en moyenne dans les 100 000, soit 150 euros par mois, et s’estiment plutôt bien lotis. –

– «  Bien sûr ! » , me direz-vous, « Mais ce n’est pas comparable ! Le coût de la vie n’est pas le même, les habitudes de consommation non plus….Et puis on ne doit pas se comparer aux plus pauvres, mais aux plus riches… (On reviendra sur ce point).  Ce serait plutôt au reste du monde de prendre la France comme exemple, car c’est le pays le plus avancé en matière de protection sociale, et d’éducation gratuite…. Nos acquis sociaux, nos droits de citoyens, sont un modèle pour le monde, et le résultat de deux siècles de manifestations et de luttes. Ils sont la gloire du peuple de France qui depuis la révolution de 1789, ne se laisse pas marcher sur les pieds !! »

Je comprends ta colère et je ne cherche pas à donner à la France l’Afrique en exemple sur ces points précis, mais plutôt, si tu le veux bien, t’offrir de nouvelles perspectives à ce qui me semble bien être une impasse.

Un autre jour, nous entendons un autre gilet jaune se plaindre de ne pouvoir se rendre à son travail, situé à plus de 50 kilomètres de son domicile, qu’en voiture, faute de transport en commun. Et manque de pot (d’échappement), il venait d’acheter un modèle diesel, juste avant que celui-ci ne devienne plus cher que l’essence !…. Propriétaire d’une maison, d’un travail stable et d’une voiture neuve, ce monsieur manifestait contre la hausse du prix du carburant.

Questionnements et rires dans l’assistance :

– « Pourquoi il ne déménage pas celui-là ? » me demande t’on.

– « C’est culturel, trop long à vous expliquer » éludais-je.

– « Ils ont tout ça et ils ne sont pas contents ? » me demande Dolo, le gardien.

Il faut dire que lui rêve depuis toujours d’aller en « Françi », comme des millions d’autres (ou même des milliards!!), juste pour gagner le Smic, afin de pouvoir en envoyer la moitié à sa famille. Serait-il trop tard ? Wari bana (l’argent est fini) ? se demande-t-il. De la part du pays émetteur de monnaie, cela lui parait incroyable.

Ici au Mali, comme la majorité de la population mondiale, la plupart des gens n’ont pas de voiture, pas de travail stable, pas d’assurances, ni de chômage, ni de retraite, ni de formation professionnelle gratuite. Dans mon quartier, la plupart des habitants se lèvent chaque matin avec moins de 3 euros en poche, donnent 1,5 euros à leur(s) femme(s) pour l’achat des « condiments » (la nourriture pour la journée et pour toute la famille), achètent une recharge téléphonique pour 50 centimes d’euro, 1/2 litre d’essence pour leur moto (50 centimes), 1 ticket de tiercé au cas où, et s’en vont avec les centimes qu’ils leur restent prendre un solide petit déjeuner avant de se lancer à la recherche d’un travail de journalier. Tout cela afin de rentrer chez eux le soir avec un minimum de 3 euros pour pouvoir payer les mêmes choses le lendemain matin. Sachant qu’un journalier sans qualification est payé en général 2 euros par jour pour un travail harassant, ce n’est pas gagné… Et bien sûr, ils n’ont ni livret d’ épargne, ni compte en banque !

Ce sont des champions de la précarité. Mais cela n’empêche ni la bonne humeur, ni la vie de suivre son cours. En cas de gros soucis, on fait le tour des amis et de la famille, pour demander un coup de main. Cela entretient aussi les relations, le tissu social comme on dit…

– « Ce n’est pas comparable !!! » me direz-vous encore avec humeur, si vous n’avez pas jeté mon article à la poubelle avant la fin du dernier paragraphe. « En France, 3 euros ce n’est même pas le prix du paquet de cigarette ! Depuis 2 siècles, notre développement économique nous a permis de financer un système social ultra perfectionné. Une situation tout à fait différente de celle d’une nation jeune et, qui plus est, sous développée, que vous avez le culot de comparer à la nôtre ! »

Vous remarquerez dans cet article qu’on en revient toujours à ce qui est comparable ou pas. Un pays pauvre est-il comparable à un pays riche ? Les problèmes ou la vie des pauvres sont-ils comparables aux problèmes ou à la vie des riches ?

Tant que cela restait entre nous, pas de problème ! Mais aujourd’hui que tout se sait, que les nouvelles sont diffusées partout et qu’en plus, on parle et comprend parfaitement le français dans beaucoup de pays, alors oui, Gilet jaune, à l’étranger, on compare ta situation à la sienne. De la même façon qu’en 1789, vaillant peuple de France, tu comparais la situation des nobles à la tienne.

Aujourd’hui, sur la planète, c’est toi le noble qui ne se rend pas compte de tes privilèges, tellement tu y es habitué. Trouves-tu normal de gagner à compétences égales 5 fois plus qu’un travailleur d’un autre pays ? Penses-tu que cette situation peut durer au su et au vu de tous ?

Une autre chose qui devient comparable, ce sont nos envies. Aujourd’hui, nous avons tous les mêmes besoins : d’outils informatique, de moyens de déplacement, de confort domestique, de voyages…pour lesquels nous partageons les mêmes fournisseurs. Alors oui, obligatoirement, nous comparons.

Et de notre point de vue, tu devrais être le plus heureux de la terre. Mais, ça ne semble pas être le cas, vue la bonne humeur qui règne en général chez nous, en Afrique. Pourquoi ? C’est ce que tu dois chercher à comprendre, car je crains, si tu continues sur cette voie, que ça n’aille pas en s’arrangeant pour toi. Tu peux mettre ton président sur l’échafaud si ça te fait plaisir, mais cela ne changera pas grand-chose. De notre poste d’observation, le problème et la solution sont ailleurs, et peut être en partie chez nous.

Peuple de France, tu ne supportes pas l’injustice ?! Et tu es prêt à te battre contre elle ? Bravo, c’est ce que j’aime chez toi !  Alors tu devrais aller voir de l’autre côté de tes frontières.

Tu verrais que la pauvreté et la richesse ne se mesurent pas seulement en Euros. Ici, nous parvenons à être heureux avec pas grand chose. Et il le faut bien. Quand on n’a rien ou si peu, on s’organise autrement.

Par exemple, ici, ce sont les enfants qui se chargent des « vieux » (le terme n’est pas péjoratif en Afrique, bien au contraire), et non les abominables maisons de retraites qui te coutent très cher ou sucrent ton héritage. Outre le côté naturel de la chose, cela comporte de nombreux avantages. Les vieux assurent en grande partie l’éducation des petits enfants, plutôt que l’Education Nationale, qui, même en France où elle est jugée « au top », forme plus des barbares que des individus civilisés. Ainsi la politesse, le civisme et …le respect des anciens sont bien plus élevés chez nous que chez vous.

L’assurance maladie, elle aussi te coûte très cher. Avec l’éducation, ce sont les deux plus gros chiffres sur ta feuille d’impôt. Pourtant ta santé ne s’arrange pas. Comparé à nous, tu as plutôt l’air mal foutu. Or les vieux nous transmettent la médecine traditionnelle, les remèdes de grand-mère, qui ne coûtent presque rien. Ton problème, ce n’est pas que tu es plus pauvre qu’avant, mais que tu as rendu payant tout ce qui était gratuit.

Et plus important encore, notre mode de vie basé sur l’écoute des anciens, répond à une autre de tes préoccupations majeures, celle de la manif d’à côté, celle des Gilets verts. Car c’est un modèle de développement durable. Plus lent certes, mais durable. Parce que les vieux ont appris la patience, ils appliquent à toute innovation, le principe de précaution qui est la condition sinéquanone de l’écologie.

Gilet jaune, sache que ton mouvement soulève un grand espoir à l’étranger, tout comme les fameux printemps arabes ont fait rêver la France. Mais peut-être ne vois-tu pas le potentiel universel de cette révolution en cours ? Après tes 30 glorieuses, et tes 50 ans de gueule de bois post Mai 68, on aimerait que tu nous fasses un remake de 1789, avec une vraie vision universelle ! Celle qui nous permettra ensemble de trouver les clés d’une mondialisation heureuse.

Gilet jaune, réjouis toi ! Le monde te regarde et 6 milliards de pauvres comptent sur toi.

Je me rappelle la première fois la que je suis arrivé en Afrique Noire, c’était il y a 30 ans, par le poste frontière d’Assamaka, entre l’Algérie et le Niger. J’avais traversé l’Algérie en autobus. A Tamanrasset, il n’y avait plus de bus, alors j’ai fait de l’auto stop auprès d’un groupe de français qui descendaient au Niger. Je les avais rencontrés au camping de « Tam », ils avaient acheté des vieilles voitures en France et comptaient les revendre en Afrique de l’ouest. received_318350685557010

André, dit l’Africain, était le chef du groupe et la figure charismatique. C’était un vieux baroudeur qui prétendait connaitre l’Afrique comme sa poche. André roulait à travers le désert sans guide, ni GPS, ni téléphone (inexistants à l’époque), juste avec la célèbre carte Michelin au 1 millionième qui couvrait toute l’Afrique de l’ouest. Une journée de route vous faisait avancer d’à peine quelques  centimètres sur la carte. Et encore, si tout allait bien… 

Sa technique consistait à aller vers le sud, en essayant de suivre les bonnes traces, c’est à dire les plus nombreuses et les plus fraiches. Mais André était plus une grande gueule qu’un fin connaisseur du désert. J’ai compris assez vite qu’ils m‘avaient embarqué pour pousser leurs voitures quand ils s’ensableraient, ce qui n’a pas manqué d’arriver dans les dunes de Laoni. 

On a mis trois jours à traverser ce cordon dunaire de 50 km de large. Evidemment, personne n’avait de plaques de désensablement, ni de pelle. Il fallait à chaque fois enlever le sable à la main sous la voiture, pousser de toutes ses forces pour faire quelques mètres, puis recommencer. C‘était une magnifique expérience.

Au bivouac, André nous berçait d’anecdotes africaines, mettant en scène la plupart du temps, des policiers, des douaniers, et des commerçants malhonnêtes. Mais, il s’en sortait toujours, nous laissait-il entendre, grâce à son humour universel et à sa connaissance profonde de la mentalité africaine. Puis on s’endormait à même le sable, sous les étoiles du Sahara, avec une insouciance difficilement concevable de nos jours dans une situation similaire. Un monde merveilleux, étrange, inquiétant nous attendait : l’Afrique Noire. 

received_1979896898969296Depuis longtemps, L’Afrique était un fantasme pour nous tous, jeunes européens. Je ne sais pas quand ni comment il était né. Une exposition, un reportage, une musique sur les ondes, des images du Paris-Dakar, les récits de René Caillé ou d’Amadou Hampaté Ba…? Qu’importe ! L’Afrique nous faisait rêver, l’Afrique nous fascinait. C’était notre part de rêve.

Arrivés au poste frontière d’Assamaka, les agents frontaliers furent à la hauteur de la réputation que leur avait faite André. Même si le tutoiement et la plaisanterie étaient de mise, ils nous inquiétaient beaucoup. Après une demi-journée en leur compagnie, nous fûmes très soulagés quand ils nous ont finalement laissé passer. Ca y était ! Nous étions en Afrique Noire !

Le soir même, nous arrivâmes à Arlit, la première ville nigérienne. Là encore, je ne fus pas déçu. Ici rien n’était comme en France. Dans la rue, ou plutôt l’espace public, car il n’y avait pas vraiment de rues, on vous interpellait en permanence, pour un oui ou pour un non, pour faire connaissance, pour faire des affaires, pour jouer de votre naïveté. J’avais l’ impression que tout relevait du hasard ou de l’exubérance.

J’ai su à ce moment-là ce que j’étaisvenu chercher en Afrique : un monde entièrement différent du mien. Et j’espérais secrètement qu’il ne lui ressemblerait jamais.

received_189351768675856Bon dieu quel accueil ! Quel sens du contact ! Quelle chaleur humaine ! Au moins égale à celle de l’air ambiant ! Même le plus insignifiant d’entre nous était l’objet de toutes les curiosités et de toutes les convoitises. Nous étions couverts de poussière, mal rasés, avec trois sous en poche, une vraie bande de branquignols, mais les africains nous accueillaient comme des stars.

Pourquoi ? Pour notre argent ? Pour se divertir ? Parce qu’ici la vie est faite de rencontres ?

Je crois tout simplement que les africains aussi fantasmaient sur nous. Pour eux, les blancs étaient un mystère. Par exemple ils avaient inventé la voiture, mais ils ne savaient pas la réparer aussi bien qu’eux. « Le blanc est intelligent, mais il n’est pas malin. » disaient-ils. Ils voyaient l’Europe comme un Eldorado pour qui sait se débrouiller. Et vu comment ils  parvenaient à mener en bateau les européens qu’ils croisaient, ils ne pouvaient douter une seule seconde du succès qu’ils auraient là-bas.

Chacun percevait le continent d’en face avec des étoiles dans les yeux. Cette curiosité et cette admiration réciproque, c’était ça le vrai miracle de l’humanité. Je m’en rends compte à présent qu’il s’évanouit. Car tout est différent maintenant. On ne rêve plus de l ‘Afrique comme avant. Pourtant, ni eux, ni nous, n’avons beaucoup changé.

« C’est le monde qui a changé », me dit-on, « la réalité n’est plus la même ». 

« Certes, mais comment s’est créée et s’est imposée cette ‘réalité’ ? », me dis-je.

Une telle aventure en Afrique, aussi peu préparée, est devenue inconcevable de nos jours. Des personnes abreuvées d’informations, mais n’ayant jamais mis un pied en Afrique tenteraient, avec les meilleures intentions du monde, de vous dissuader d’y aller: « N’as-tu pas écouté les infos ? Entendu parler des prises d’otages à l’Est ? De la rébellion au Nord ? Du coup d’état au Sud ? D’ébola à l’Ouest? Etc, etc…

Les technologies de communication ont tellement évolué en 30 ans que nous sommes passés de l’écoute ou la lecture d’un journal quotidien à un déluge permanent de nouvelles. Souvent, la même information est répétée en boucle par une multitude de médias. Il est difficile dans cette cacophonie de se faire sa propre opinion. Finis les reportages à la Kapuscinski où le reporter en appelait à notre sensibilité et à notre réflexion pour interpréter ce qu’il avait observé. Autrefois le journaliste nous interpellait, à présent il nous mitraille.  

Ainsi la répétition quotidienne d’une information univoque, est parvenue à modifier profondément notre perception de l’Afrique.  Autrefois, espace de rêves, de défis et d’aventures, elle a inspiré parmi nos plus beaux récits, du délicieux « Un homme sans l’Occident » de Diego Brosset, au « Petit Prince » de Saint Exupéry, l’Afrique est devenu à nos yeux une « no go zone », synonyme de prises d’otages, de misère ou d’épidémies dévastatrices..

En France par exemple, quotidiennement et pendant des années, le présentateur du journal télévisé, nous informait,  (Patrick Poivre d’Arvor avait même la larme à l’oeil), que des otages français étaient détenus au Sahel par des terroristes djihadistes.  Aucune explication, pas le moindre élément de réflexion n’étaient fournis aux téléspectateurs. On jouait sur l’émotion, c’est tout. Mais cela a suffi à éradiquer le tourisme dans toute la zone sahélo-saharienne. 

-« Pourquoi une telle insistance ? me demandais je.

-« Parce que l’Afrique fascine. » dira un journaliste…

L’anecdote la plus symptomatique du changement de regard que nous avons sur l’Afrique est sorti de la bouche de Nicolas Sarkozy lors de son discours à Dakar en 2007 « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. » En populiste instinctif, il sentait que les français partageraient cette impression, noyés comme lui sous le même flot d’informations. Le tollé est venu d’Afrique. Car bien évidemment, les Africains n’ont pas du tout la même vision des choses. 

Bon dieu ! Faut-il vraiment dire de telles évidences ? Qu’en Afrique, n’importe quel enfant, scolarisé ou non, en aurait autant à raconter sur son histoire, qu’un enfant d’Europe ou d’ailleurs ? Que l’Afrique n’est pas un continent plus dangereux que les autres ? Que l’Afrique n’est pas en retard ? Car tout dépend où on va..

D’ailleurs, à ce sujet, une autre des conséquences de notre vision de plus en plus simpliste de l’Afrique, est l’engouement qu’elle suscite chez nous pour l’aide au développement. De tout l’Occident, accourent des diplômés en herbe et des « experts », pour apporter des solutions à l’Afrique. Or, à l’heure où le mode de vie des pays développés pose question, donner des leçons de développement durable à un village africain aux traditions ancestrales, relève du dérangement mental pure et simple. 

Ah ! Mais je ne vous ai pas encore raconté la suite de mon aventure africaine ? Après plusieurs voyages en Afrique de l’Ouest, j’ai fini par m’installer au Mali où je vis et travaille depuis 25 ans. Durant toute cette période, je pense que ce qui m’a fait courir les plus grands dangers en tant que français résidant au Sahel sont les versements de rançons par nos Etats pour la libération des otages et l’hyper médiatisation des actes de terrorismes par nos journaux (merci Patrick Poivre D’Arvor !). Car sans cela, ni l’un ni l’autre n’aurait existé.

Connectés 24h sur 24, nous recevons un flot permanent d’informations que nous n’avons pas le temps de filtrer, ni d’analyser. A notre insu, ces informations nous donnent une perception du monde bébête, caricaturale, manichéenne et nous conduisent à des comportements idiots et dangereux. En définitive, à partir d’un certain seuil, plus on est informé et moins on comprend. Au stade ou nous en sommes, je crains que si l’on ne parvient à se boucher les oreilles, un nouveau danger menace l’humanité : l’abrutissement total de l’espèce !

Homo Connectus ! Souviens toi qu’enfant, tu n‘écoutais pas les infos, car elles perturbaient tes rêves. Tu écoutais seulement les histoires, et tu avais bien raison. Car c’est ton imagination qui concevait le monde. Adulte, pars courir le monde si tu veux le connaitre. Aujourd’hui comme hier, l’aventure t’attend.

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Tout a commencé lorsque la concierge de mon immeuble à Marseille, m’annonce que l’appartement du 5ème a enfin été acheté, par des gens « bien sous tout rapport, des gens de l‘ONU. »

Je ne pus m’empêcher de sourire à cette naïveté populaire concernant les fonctionnaires internationaux. Je n’ai rien contre les gens de l’ONU, mais pour les côtoyer assez souvent car je vis au Mali où ils sont pléthore, je trouve qu’ils ne sont pas meilleurs que les autres. En revanche ils ont de bien meilleurs salaires.

En effet si le fonctionnaire européen double aisément ses revenus par rapport à un poste national, le fonctionnaire onusien le triple, sans compter les avantages de toutes sortes.

Vous me direz avec raison que ce n’est pas joli-joli de regarder dans l’assiette de son voisin, que cela ne nous concerne pas. Et bien dans le cas présent, ces traitements astronomiques ont des conséquences (pas necessairement positives) sur la vie de centaines de milliers de personnes.

La première conséquence est qu’ils ont tendance à s’attarder dans les missions lointaines. Alors qu’elles consistent bien souvent en une intervention d’urgence ou ponctuelle. Imaginez que le chirurgien qui vous opère soit payé à l’heure, plutôt qu’à l’intervention ! Ne seriez-vous pas en droit de vous demander si l’anesthésie ne va pas durer trop longtemps ?

La deuxième est que ce ne sont pas forcément des passionnés de l’engagement international qui s’investissent dans ces missions à l’étranger. Il est plus que probable qu’un simple réajustement des salaires suffirait à faire se volatiliser 90 % du personnel de l’Organisation des Nations Unis.

Je me souviens d’une époque pas si lointaine, (c’était le bon temps comme disent tous les vieux !), où les candidats à l’expatriation étaient avant tout des idéalistes. Les associations et les ONG attiraient de nombreux volontaires. Il y avait parfois un certain amateurisme dans leurs initiatives, mais ils y mettaient vraiment du cœur. Et je me rends compte après toutes ces années passées au Mali que c’était ça l’essentiel. Ce que les gens gardent en mémoire, plus que le projet en lui-même, c’est la rencontre, l’amitié et le vrai partage.

Malheureusement, ces empathiques citoyens sont aujourd’hui fermement invités à rester chez eux pour des raisons de sécurité. Je ne saurais dire s’il s’agit d’une stratégie, tellement cela s’inscrit dans cette tendance très occidentale, où tout ce qui est gratuit devient prohibé et donc tend à disparaitre au profit de ce qui rapporte.

Quelques jours plus tard, je croise mes nouveaux voisins marseillais dans l’escalier. C’est un couple d’une cinquantaine d’année chacun. Ils sont en ce moment en poste en Egypte et ont eu envie d’avoir un pied à terre en France pour y passer quelques semaines par an. Je les félicite d’avoir choisi Marseille, souvent plus facile d’adaptation pour quelqu’un venant de l’étranger, principalement d’Afrique, car c’est une ville cosmopolite, et aussi ensoleillée que le Sahara.

Mais après ces quelques échanges de politesse et malgré notre statut commun de français de l‘étranger on se rend compte que pas grand-chose ne nous rapproche.

Moi, je travaille au Mali depuis plus de 20 ans et je suis très attaché à ce pays. Je souffre et je me réjouis avec lui à chaque soubresaut de son Histoire. Eux ne s’installent pas et ne se projettent pas dans le pays qu’ils investissent. Leur avenir est quelque part ailleurs. Dans un, deux ou trois ans, ils s’en iront pour ne jamais revenir. De plus ils abordent les pays, non pas comme un lieu de vie, c’est-à-dire comme une précieuse, complexe et fragile biosphère, mais comme une problématique. La problématique du sous-développement, de la bonne gouvernance, de la sécurité, ….

Voici une anecdote qui illustre bien l’état d’esprit qui règne dans cet univers Onusien. Lors du pot de départ d’un membre de la mission de maintien de la paix, je demandais à mon hôte ce qu’il avait retenu du Mali où il venait de passer 2 ans, il me répondit qu’il avait eu l’impression que ce qu’il faisait ne servait à rien, (je lui confirme que son impression est bonne), ce qui le déprimait profondément, (car il est encore jeune) mais que d’un autre côté, il avait pu mettre assez d’argent de côté pour s’acheter une maison quelque part en Europe…

Je déplore cette manie de vouloir s’acheter à tout prix des résidences secondaires. Mais je comprends que ce soit déprimant de faire un travail inutile. En y réfléchissant un petit peu, on se demande comment il pourrait en être autrement. Est-ce que les maliens pensent être qualifiés pour régler les différends entre les Serbes et les Croates, entre les Flamands et les Wallons, entre les Marseillais et les Parisiens ?

Que ce soit pour une mission de maintien de la paix ou de développement, il faut vivre dans le pays assez longtemps pour en connaitre les plus fins rouages qui permettront d’agir subtilement et à bon escient. Or, non seulement leurs missions sont de plus en plus courtes, mais ils vivent de plus en plus repliés sur eux-mêmes, dans des résidences sécurisées, où ils organisent des soirées privées.

Ce mode de vie « hors sol » se ressent sur leur travail. On dirait que la mission des casques bleus consiste à s’installer dans des camps ou des résidences qu’il convient de sécuriser. Ils vivent dans une paranoïa sécuritaire qu’ils veulent faire partager par tout le monde. Impossible de sortir boire un verre à Bamako, même dans le maquis le plus insignifiant, sans se faire fouiller, scanner, palper, … La plupart du temps avec du matériel factice !… Il y a un tel amateurisme dans ce domaine qu’on aurait du mal à garder son sérieux si ce n’était pas aussi désagréable.

Mais le plus grave est qu’ils renvoient dans le monde, peut-être pour justifier le prolongement de leur mission, une image d’un pays très dangereux, où l’on ne peut circuler qu’en véhicule blindé. Alors que, bien au contraire, Bamako est une des capitales les plus sûres d’Afrique.

Cette mauvaise publicité détruit des pans entiers de l’économie, et condamne l’essor du pays. Les principales victimes sont le tourisme, une activité en pleine croissance avant la crise, totalement anéantie, (la France aussi serait à genoux si cela lui arrivait), puis l’entrepreneuriat privé, par la difficulté de faire venir des gens de l’extérieur, et plus triste encore, la diaspora malienne, jeune, qualifiée, qui hésite à s’investir dans le pays malgré le potentiel de croissance.

Il est difficile de dire si l’utilité de leur mission contrebalancent les importants effets négatifs de leur présence, tellement il y a d’enfumage médiatique de toutes parts. Mais nous pouvons être certain d’une chose : tant qu’ils seront là pour maintenir la paix, nous ne serons pas en paix. Et tant qu’ils s’occuperont de la « problématique » du Mali, nous continuerons à avoir des problèmes.

De retour à Marseille quelques mois plus tard, à ma concierge qui me rabattait les oreilles avec ces gens de l’ONU, comme s’ils allaient élever le standing de l’immeuble, je lui tins le discours qui a donné naissance à cet article. Elle, qui avait pu s’acheter l’appartement du rez-de-chaussée avec les économies de toute une vie de travail, ça l’a scandalisé de voir ses impôts partir en résidences secondaires.

Est-ce pour cette histoire, ou pour d’autres raisons liées à la problématique du sous-développement à Marseille, toujours est-il que mes nouveaux voisins ont revendu leur appartement et sont partis sans rien dire à personne. Aujourd’hui, on ne parle plus des gens de l’ONU dans mon immeuble ; en définitive, on préfère s’engueuler avec les Parisiens. Avec eux au moins on peut se comprendre…

Et je conseille aux maliens de faire de même. Il vaut toujours mieux essayer de régler ses problèmes en famille.

Article paru dans mediapart le 6 Avril 2018

https://blogs.mediapart.fr/herve-depardieu/blog/060418/lettre-de-bamako-au-president-de-la-republique-francaise

Monsieur Le Président de la République.

Nous nous sommes rencontrés à l’ambassade de France de Bamako le 2 juillet 2017. Mon établissement « Le Campement Kangaba » venait de subir une attaque terroriste tuant 6 personnes. Vous m’avez serré chaleureusement la main, d’une poigne franche et forte, fixé intensément du regard, puis d’une pression amicale sur le haut du bras, vous m’avez assuré de votre soutien et de votre compassion.

J’ai été impressionné par la détermination qui se lisait dans vos yeux.

Moi qui n’ai jamais été d’aucun bord politique, marcheur du type nez au vent, j’ai été réconforté par cette rencontre, survenue dans un des moments les plus difficiles de ma vie.president

Vous avez ensuite prononcé un discours* ambitieux devant la communauté française du Mali réunie pour l’occasion dans les jardins de la résidence de l’ambassadrice.

En résumé, vous alliez renforcer l’engagement de la France pour la pacification et le développement du Mali, augmenter les budgets habituellement alloués, et fait nouveau et important, changer de méthodes. Pour cela vous alliez créer une « Alliance pour le Sahel » chargée de coordonner toutes les initiatives européennes, impliquer tous les acteurs, y compris le secteur privé, et simplifier les circuits de financement pour qu’un plus grand nombre puisse y avoir accès.

J’ai écouté votre discours avec d’autant plus d’intérêt que Le Campement* est une entreprise en parfaite adéquation avec votre vision du développement qui avait besoin d’une aide d’urgence pour survivre à l’attaque de nos ennemis communs.

Le Campement, à l’origine, est une aventure humaine, faite de rencontres, d’amitiés et d’amour. C’est ensuite une vision écologique du développement, adaptée au terrain, et durable. Nous ne sommes pas au Mali pour 3 ou 5 ans, mais depuis 25 ans. Et malgré le contexte difficile que vous avez mentionné (prises d’otages, pays classé en zone orange et rouge, putsch, guerre et terrorisme), Le Campement est une entreprise qui marche !

De 20 personnes au départ, nous sommes plus de 150 aujourd’hui. Cette croissance s’est réalisée sans subvention, simplement en réinvestissant, mois après mois, l’essentiel des bénéfices engendrés par nos activités hôtelières et artisanales. En parallèle, nous avons mené de multiples actions écologiques et sociales : création d’un parc de 20 hectares dans Bamako, sensibilisation à l’environnement, formation professionnelle, design et artisanat d’art, culture…. *

Le Campement participe naturellement au développement de ce pays, bien que je préfère de loin le terme d’harmonisation du monde. Il contribue également à sa pacification en favorisant la rencontre et la compréhension mutuelle, car il est autant apprécié des maliens que des expatriés, tandis que le contexte sécuritaire tend à favoriser une dangereuse ségrégation.

Votre volonté d’impliquer les entrepreneurs privés au développement m’a incité à rechercher de l’aide auprès de l’ambassade de France et des différents organismes présents à Bamako. Il y avait des emplois et de beaux projets à sauver sans que cela ne nécessite beaucoup d’argent.

Mais les choses ne se sont pas passées comme prévues. Je ne sais pas si c’est vous qui marchez trop vite, monsieur le Président, mais je peux vous assurer que derrière, tout le monde ne suit pas.

Si j’ai été bien reçu et écouté par tous, je n’en ai pas moins été débouté de toutes mes requêtes : soit les budgets étaient votés depuis longtemps et ne pouvaient être affectés ailleurs, soit ce n’était tout simplement pas dans leurs attributions de me venir en aide.

Rien de personnel bien sûr, la plupart des petites entreprises privées sont dans ce cas alors qu’elles contribuent énormément à « l’effort de guerre ».

L’aide au développement est une affaire de spécialiste, dont, comme chacun sait, le bon sens ne saute pas toujours aux yeux.

Puis pour faire bonne mesure, les ambassades ont intimé aux expatriés de ne plus fréquenter le Campement. Les militaires (Minusma, Barkhane, EUTM, EUCAP) ont également reçu l’ordre de ne plus venir. Alors que c’est justement la présence de l’un des leurs, et son intervention héroïque, qui a permis de sauver de nombreuses vies. Je vous prie de m’excuser si je ne vois dans ces décisions, ni « alliance », ni méthode.

En conclusion, la France n’a, jusqu’à ce jour, soutenu d’aucune manière le Campement, ni même manifesté le moindre intérêt à ce qu’il reste ouvert. C’est absurde et triste, et cela va radicalement à l’encontre de votre message du 2 juillet 2017.

Mais venonsen au but de ce courrier : le 18 juin prochain nous organisons au Campement une cérémonie anniversaire en hommage aux victimes, à laquelle j’ai l’honneur de vous convier Monsieur le Président. Ce sera l’occasion de réitérer vos objectifs pour l’« Alliance pour le Sahel », et comme vous l’avez proposé à la fin de votre discours, de se regarder à nouveau droit dans les yeux.

*liens utiles

http://www.elysee.fr/videos/discours-d-emmanuel-macron-devant-la-communaute-francaise-du-mali/

www.lecampement.com

www.lecampement.com/appel-a-projet/

 

 

 

Article paru dans Mediapart le 22 février 2018

https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/220218/lettre-ceux-qui-nous-conseillent-de-ne-plus-voyager-en-afrique

Que faisiez vous à vingt ans, vous qui nous conseillez aujourd’hui de ne plus voyager en Afrique ? Ou étiez-vous quand je traversais le Sahara sac au dos ? Quand je touchais les étoiles en bivouaquant dans le Hoggar près de l’ermitage du père de Foucault. ?

A quel monde rêviez-vous quand vous passiez vos concours pour entrer dans l’administration ? Avez vous quitté vos études, votre famille et votre pays pour aller à la découverte du monde ? Etes vous tombé sous le charme d’autres cultures en découvrant l’hospitalité et la spiritualité de ses habitants ?

A 20 ans messieurs de bon conseil, j’ai suivi mes rêves, inspiré par une littérature de voyage qui de Homère à Nicolas Bouvier en passant par Bruce Chatwin, a nourri mon enfance, et la tenace tradition française d’aller explorer le monde.… Ma famille et mes amis ont bien tenté de me retenir, mais ils savaient au fond la nécessité de répondre à cet appel intérieur. Le voyage forme la jeunesse comme dit le proverbe.

Après plusieurs voyages dans le Sahara et le Sahel, j’ai fini par m’installer au Mali, ou j’ai créé une entreprise que j’aime. Aujourd’hui, je sais ce que je dois à ces rêves de jeunesse, je sais la chance d’avoir pu les suivre passant outre les conseils de prudence qu’on m’avançait.

Les jeunes de tous les pays du monde rêvent de liberté et d’aventure. Pour beaucoup, le voyage sera le fil à partir duquel ils tisseront leur vie. Cela dépasse le danger potentiel qu’il induit. Le Cid, plutôt que sa légendaire tirade « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » aurait aussi bien pu dire « A vivre sans péril, on meurt sans gloire ». Si nos parents nous ont éduqués en avançant plus souvent qu’il n’en faut des raisons de sécurité pour nous empêcher de faire ceci ou d’aller là-bas, ils restaient avant tout favorables à notre épanouissement et au moment opportun, quand l’appel du large saisissait leur enfant, ils savaient ravaler leur peur et dire « bonne route et que Dieu te protège ».

Dans le cas présent, ce n’est plus notre papa ou notre maman qui prétend vouloir nous protéger mais une poignée de fonctionnaires. En France, ils font partie de la cellule de crise (le nom du service annonce déjà la couleur…) du Ministère des Affaires Etrangères (MAE). Je ne remets pas en question le danger qu’il y a à s’aventurer dans certaines régions du monde, mais ces messages débilitants, appelés « consignes de sécurité » ou « conseils aux voyageurs » et ce coloriage sans nuances du monde en 3 couleurs, rouge, orange et vert, comme des feux de circulations.

Si vous me demandez à quelles fins ils écrivent ces messages, je dirais qu’avant tout, ils ne veulent pas prendre de risque. Et on les comprend d’autant mieux qu’au-dessus d’eux, les responsables politiques ne veulent pas non plus avoir à supporter la presse et les familles en cas de problème avec un ressortissant à l’étranger…

Le malheur est que cette prudence menace une cause bien plus grande : la possibilité du voyage. Certes, il ne s’agit que de conseils, libre à chacun d’en faire ce qu’il veut. Mais le mot « conseil » semble un doux euphémisme par rapport aux ravages qu’il exerce sur notre imaginaire. Il est arrivé que des amis proches qui projetaient de venir me voir à Bamako, soient bien plus influencés par ces « conseils » que par mes propres recommandations, et finalement annulent leur voyage. Il n’y a pas si longtemps, avant d’entreprendre un voyage, on consultait le guide du routard, les agences de voyages, ou l’office du tourisme local, on questionnait ceux qui rentraient. Pourquoi aujourd’hui se référer quasiment exclusivement à ces consignes ? Probablement parce que la surmédiatisation des attentats et des prises d’otages a créé une psychose sécuritaire. Et la sécurité, depuis toujours, est affaire d’Etat. Le problème est que contrairement aux acteurs du tourisme, les fonctionnaires du MAE n’ont aucun intérêt à défendre le voyage, la liberté et l’aventure. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne vendent pas la destination Afrique !!

Il y a pourtant un intérêt évident à préserver ce puissant moteur du rêve qu’est le voyage. Dans un passé pas si lointain, la mère patrie a su stimuler les plus puissantes vocations d’aventuriers : les explorateurs et les écrivains voyageurs s’offraient pour elle, à affronter des dangers immenses. Et avec quels honneurs elle accueillait leur retour ! Cette politique a grandement participé au rayonnement de notre pays, dont nous bénéficions encore à présent. René Caillé, s’il rentrait aujourd’hui en France, se ferait copieusement engueuler par l’Etat d’avoir pris de tels risques !

Le monde est fait par les rêveurs, qu’ils soient artistes, entrepreneurs, associatifs, humanitaires, ou simplement contemplatif. En fait je crois bien que le monde est un rêve. C’est comme cela qu’il s’est crée et qu’il se crée encore chaque jour. C’est en réalisant ses rêves qu’on réussît sa vie. Et pour ceux qui choisissent d’être fonctionnaires, si c’est leur rêve à eux, alors respect ! A condition qu’ils ne fassent pas faire des cauchemars aux autres.

De l’autre côté, celui ou je me trouve maintenant, il y a une Afrique qui rêve elle aussi de parcourir le monde, et à qui il faudrait permettre davantage de voyager … Car là aussi on joue beaucoup sur les peurs pour justifier les interdictions de déplacements, en oubliant qu’en dehors des migrants politiques et économiques, il y a les simples touristes que la difficulté d’obtenir un visa décourage. Or, on peut attendre d’une civilisation qui a inventer internet, qu’elle trouve aussi des solutions pour la libre circulation des hommes. A poursuivre dans cette voie, j’ai bien peur que sur cette terre, on finisse comme dans une cocotte-minute dont on aura oublié d’enlever la soupape. Ou que le roman d’anticipation Globalia de Jean Christophe Ruffin ne devienne rapidement une réalité. Voici le résumé de Wikipedia : «Une sorte d’État mondial, Globalia, assure à ses citoyens la sécurité, la prospérité et une certaine forme de liberté tant qu’ils ne remettent pas en cause le système. Les “zones sécurisées” occupent principalement l’hémisphère nord, tandis que les “non-zones”, essentiellement situées dans l’hémisphère sud, sont réputées inhabitées mais servent de refuge à des populations que le pouvoir central qualifie de “terroristes” ». Troublant pour un livre écrit en 2003, non ?

L’époque du tourisme saharien et sahélien s’est éteinte en 2010. Est-elle transposable vers d’autres continents comme le rallye Paris-Dakar ? Hélas ! Il n’y a qu’un seul Sahara, qu’une seule Afrique, et le Dakar ne fait plus autant rêver depuis qu’il se passe en Amérique du Sud. Je ne sais si je reverrai un jour les montagnes du Hoggar, mais je suis sûr d’une chose : il faudra accepter de se mouiller pour que le désert refleurisse.

Alors afin de renouer avec cette sensation divine et salutaire de l’aventure, autant pour le corps que pour l’esprit, je pars faire le tour du monde en voilier, un autre rêve de jeunesse que j’avais laissé de côté. Et je me dépêche de le faire, de peur que bientôt, on ne « déconseille formellement » d’y aller… Pour raison de sécurité bien sûr ! Car les requins, les ouragans et les pirates prolifèrent de façon totalement scandaleuse dans les océans !

Bamako le 20 fevrier 2018

Hervé Depardieu
Fondateur du Campement

 

Paru dans le Monde Afrique du 12 Janvier 2017

A Bamako, les consignes de sécurité sont un véritable fléau pour les expatriés comme pour les maliens.

S’il est vrai que nous avons vécu une période particulièrement stressante entre 2012 et 2013 avec le putsch et l’occupation du nord du pays par les djihadistes, grâce à l’intervention française en janvier 2013, la situation s’est améliorée au sud du pays et notamment à Bamako. Nous essayons depuis lors de reprendre une vie normale. Mais les consignes de sécurité alarmantes émises par les divers consulats et ambassades occidentaux et particulièrement par l’ambassade de France et les « conseils aux voyageurs » extrêmement dissuasifs du site du Ministère des affaires étrangères nous rendent la tâche impossible.

En effet le consulat nous envoie très régulièrement des alertes sécuritaires sur nos mails et par SMS. On ne sait pas comment elles s’alimentent, mais elles ont un pouvoir considérable sur notre quotidien, qu’elles s’expriment comme des conseils ou des ordres selon l’organisme pour lequel on travaille : Ce week end ne sortez pas de Bamako/ Ne vous déplacez pas la nuit /Evitez les lieux publics/..…… De plus ces CDS divergent selon les pays et les services, créant des situations parfois cocasses :

Les Américains ont eu le « droit » d’aller au festival de Ségou, pas les Français. Du coup nous y croisons des Français masqués, marchant à couvert de peur d’être reconnu par leur hiérarchie, … alors que les américains faisaient bruyamment et publiquement la fête.

De même l’équipage air France, après avoir déposé ses passagers, choyés pendant le vol Paris Bamako, s’en va dormir à Dakar car Bamako est trop dangereux pour eux ; laissant ces mêmes passagers atterrés par ce « lâchage » soudain !

On pourrait rire du coopérant sous contrat voulant passer le weekend  en famille dans tel hôtel , obligé d’y laisser sa femme et ses enfants seuls car lui seul n’a pas le droit d’y dormir….

Et que dire de l’absurdité des « recommandations » (qui sont pour certains des obligations) du consulat, d’aller dans tel ou tel hôtel parce qu’ils sont les plus « sécurisés » ?  Ce sont ceux qui deviennent les plus dangereux car ils finissent par constituer des cibles principales de par leur fréquentation. C’était le cas du Radisson.

Et puis le vendredi soir, on retrouve nombres d’expatriés dans des maquis (gargote de plein air).  Aucune sécurité, pas même de porte, au diable ces foutus CDS !! On pourrait bien se croire dans la série « Kaboul Kitchen » à Bamako….

D’un autre côté, la rubrique « conseils aux voyageurs » du site du Ministère des affaires étrangères prodigue depuis 2009 des « conseils » sans nuance. A l’heure d’aujourd’hui Bamako est en zone orange ce qui signifie : fortement déconseillé sauf raison impérative.  Les ¾ nord du pays dont le pays dogon (zone la plus touristique) sont en rouge : formellement déconseillé.

Les conséquences de la sévérité de ces consignes sont énormes. Il faut bien les mesurer : nos familles et nos amis hésitent à venir nous rejoindre. Les candidats à l’expatriation deviennent plus rares et plus exigeants, ce qui freine le développement de nos activités, voire pour certains les condamnent à fermer. Bien sûr, le Mali est le grand perdant de tout cela, mais pas seulement. Bon nombre d’expatriés ont dû rentrer et  nous perdons également énormément de vocations à l’expatriation. Souvenons-nous que le Mali accueillait sur tout son territoire des centaines d’associations et d’ONG françaises. Toutes ces personnes qui exprimaient par là un besoin d’agir à l’étranger sont ainsi fortement « conseillées » de rester sur le territoire national au risque de tourner en rond.

A quoi servent ces consignes et conseils ? Nous protègent-elles ?

On peut en douter. Le consul nous a envoyé dernièrement un SMS sur nos portables nous demandant de rester chez nous en raison d’une menace de prise d’otage. Pense-t-il que les preneurs d’otages s’arrêteront à la porte de nos maisons ? ». Du reste, il n’y avait pas de consignes particulières quand ont eu lieu les attentats.

Est-ce aussi dangereux que cela de vivre à Bamako, comme tendent à nous le faire croire ces messages alarmistes ? Difficile à évaluer, mais depuis 5 ans, on peut commencer à s’appuyer sur des statistiques. De fait il y a eu bien plus de civils occidentaux morts pour raison de santé ou d’accident de la route ou même d’avion que du fait des djihadistes. En retournant au pays dogon en 2014 avec mes enfants, j’ai vu dans un village un couple de retraités français qui vivaient là à l’année, sans autre protection que les amitiés nouées. On aurait pu les enlever avec des pinces à linges.  On ne l’a pas fait, ce qui à mon sens relativise les risques pour un voyageur de passage. Et ils ne sont pas les seuls à vivre en zone rouge. En zone orange, à Bamako ou Ségou nous sommes des milliers d’occidentaux à vivre à l’année sans protection. Là où le MAE déconseille fortement aux français de venir … Et nous alors ? Sommes-nous des citoyens de seconde zone, ou des pestiférés mis en quarantaine ?

En France les gens imaginent qu’on vit reclus chez soi et pas une seconde qu’on puisse se promener tranquillement au marché, circuler à toute heure de la nuit…  Ces consignes faussent totalement leur vision du Mali.

Pourquoi un tel zèle sécuritaire de la part de nos représentants politiques ?

On suppose qu’ils ne veulent prendre aucun risque en cas d’incident : prudence compréhensible mais lourde de conséquences pour le pays qui les accueille. Est-ce cela qu’on est en droit d’attendre de nos responsables politiques ?

De plus les fonctionnaires de l’ambassade  au Mali ont des primes de risques qui sont fonction du niveau de dangerosité du pays. Ce qui signifie que plus le pays est jugé dangereux par eux, plus ils gagnent…. Sur un salaire de 10000 euros

Comment changer la donne ?

La voie juridique ?

Ces « conseils » de par leurs effets constatés constituent une entrave claire à notre liberté. Ils sont discriminatoires pour les citoyens placés dans les « no go zone ». Et Ils sont évidemment diffamatoires.

La voie politique ?

Tout pouvoir arbitraire sans contrôle de la société civile a ses dérives. Les résidents français au Mali ont un droit légitime de regard sur la rédaction et la diffusion de ses conseils. Nous devons instaurer un jury populaire qui rédigerait en partenariat avec les militaires et les politiques les consignes les plus appropriées à la situation et dans l’intérêt du plus grand nombre.

 

Paris a connu des attentats autrement plus graves que Bamako. Anne Hidalgo a fait son possible pour rassurer les visiteurs étrangers et les parisiens.  Et je pense qu’elle a raison : c’est comme ça que la paix reviendra… Au moins dans les esprits pour commencer.

Cela vaut bien de prendre quelques risques ? Mais ce n’est apparemment pas l’avis du consul, ni de l’ambassadeur de France à Bamako.

 

– « Comment vit-on dans un pays aussi dangereux » ? me demande-t-on souvent en France.

– Je réponds invariablement : « Je ne savais pas qu’il était aussi dangereux »

 

Jour 1

Je n’étais vraiment pas bien ce matin du jeudi 20 août. Dans la nuit, la toux sèche qui m’accompagnait depuis un mois s’est mise à s’emballer. La fièvre montait et mon corps donnait l’impression d’avoir été tabassé. J’attendais le lever du jour avec impatience pour aller aux urgences, afin d’éviter l’ambiance glauquissime des salles d’attentes la nuit.  Conduit par ma compagne, j’arrive à 8h pile aux urgences de l’hôpital européen de Marseille. J’ai choisi cet hôpital parce qu’il est neuf, pas loin de chez moi et disposant d’un service pneumologie.

Une belle surprise m’attendait : personne et un guichet ouvert ! Je note au passage que mon intuition était bonne : la salle d’attente est superbe, bancs en bois massif, plantes exotiques et une propreté des sols au moins égale à celle du centre commercial des Terrasses du Port !

Je me présente (au guichet), me déclare fiévreux, suis rapidement enregistré et invité à patienter sur un banc… J’ai à peine le temps me dire que c’est merveilleux d’être pris en charge sans avoir à présenter sa carte bleue, qu’un jeune infirmier enjoué m’appelle et me conduit aux services des urgences.

Et là, le paradis s’ouvre à moi : trois belles et euphoriques infirmières (je ne sais pas quel cocktail de produits éthérés circulent dans l’air ….) me prennent en main : questions sur ma santé, prise de sang et de température. Ensuite on m’installe délicatement  sur un lit roulant avec masque à oxygène et perfusions diverses. Nonobstant ma fatigue et mon mal de crâne, je me sentais très bien comparé à la nuit cauchemardesque que je venais de vivre ! Je récitais intérieurement mes louanges à la France et à son système de santé si parfait. Ce n’est pas dans les hôpitaux publics américains qu’on verrait une telle perfection malgré les 2 mandats d’Obama pour arranger ça.

Un médecin vient me voir et décide de m’envoyer faire une radio des poumons puis un scanner.

C’est serein, apaisé que je pars en somnolence heureuse sur mon lit roulant, aidé en cela par l’oxygène bienfaiteur et le délicieux effet du paracetamol en perfusion. A 10h30 on m’annonce que je vais être hospitalisé. N’y voyant aucun inconvénient, l’on me fait rouler par des portes et des couloirs jusqu’au service pneumologie. Ma chambre est belle, sobre avec une grande salle de bain. On aurait pu se croire dans un hôtel Ibis si le lit n’était équipé de vérins et d’une télécommande.

J’ai passé la journée à somnoler dans cette même bienfaisance, alternant paracétamol et acupan pour varier les plaisirs, masque à oxygène, et bien sûr l’indispensable, le roi des rois de la médecine : l’antibiotique. Les infirmières sont aux petits soins ; ma compagne passe me voir en fin d’après-midi puis re-sommeil jusqu’au lendemain matin où enfin je me sens mieux. J’ai survécu !

Jour 2

Après un petit déjeuner « clinique », vers 10h, je demande à l’infirmière avec la voix sage et posée d’un homme qui connait maintenant la valeur de la vie, si elle sait ce que j’ai. On me dit d’attendre la visite du médecin qui doit passer dans la matinée.

Le docteur arrive vers 16h (!), m’annonce que j’ai une pleurésie bilatérale et que l’antibiotique prescrit devrait faire son effet rapidement. Je lui demande alors quand je pourrais sortir car même si je reconnais que cet hôpital est de standing, ce n’est pas encore l’Hôtel Dieu (le 5 étoiles de Marseille), et qu’à ces conditions je préfère mon lit et la décoration personnalisée de mon appartement qui est à deux pas de là.

Le docteur, probablement une tenniswoman vu le magnifique revers duquel elle balaie mes velléités de sortie (je n’ose imaginer les effets de son coup droit ou pire de son smash sur les pauvres moribonds de patients que nous sommes ?!), m’explique que j’ai encore des examens à faire le lendemain et qu’on verra après, en fonction des résultats.

N’ayant pas l’envie de contrarier mon sauveur de la veille, et trouvant ce nouveau cadre un peu monacal propice à la méditation, pas inutile après mes excès de l’été, je me plie à ses arguments. Un bon bouquin et dodo à 9h, ça me changera des apéros rosés à la plage, des mojitos au Roof…

Fin du premier set en 45 secondes

Jour 3

Le lendemain samedi, je profite de ma petite forme retrouvée pour faire un tour au snack de l’hôpital. Transporté au rez-de-chaussée par l’un des 6 rutilants ascenseurs, je découvre un hall immense au sol reflétant comme un miroir, le tout vitré et cubique, d’une modernité euro-méditerranéenne ! Au retour, je m’enquiers des examens que je devais passer ce matin et là, surprise, on m’informe que le week-end rien ne bouge : il faudra attendre lundi !

Bien que fan des séries le prisonnier et Prison Break, je ne me suis cependant jamais pas préparé à jouer le premier rôle. J’insiste alors auprès de l’infirmière en chef sur la possibilité de sortir et de continuer à poursuivre les soins à domicile. Ils ne consistent plus qu’à prendre 2 cachets d’antibiotique matin midi et soir, et de revenir pour les examens lundi.  On me dit d’attendre le médecin qui, chance, passe aujourd’hui en coup de vent vers 13h.

– « Impossible ! » me dit la tenniswoman d’un redoutable coup droit : les prescriptions et les rendez vous sont pris uniquement pour les pensionnaires de l’établissement.

Fin du 2eme set en 15″ chrono.

Un difficile dilemme s’offre alors moi : soit me morfondre sur mon lit d’hôpital tout le week-end, soit trouver un nouveau prescripteur d’antibiotiques un samedi après-midi d’août avant de rentrer dans mon home sweet home.

Je décide sagement de passer une nouvelle soirée à méditer sur le bonheur d’être en vie, déprimant quand même à la vue du pauvre plateau repas servi dans des gamelles en fer à 18h…

 

Jour 4

Dimanche. La journée s’annonce longue ; je décide de faire le mur et d’aller déjeuner avec ma compagne et ma fille au brunch du Rowing Club, vue sur le vieux port. Quelle sensation délicieuse de liberté. A 17h, de retour à l’hôpital, j’ai l’impression de rentrer aux Baumettes après un week-end de permission…!

En ouvrant la porte de ma chambre, pour ne rien m’épargner, (ou me faire payer ma liberté ?) je découvre qu’on m’a mis un voisin de lit !  Cette fois-ci, certain de mal dormir, j’informe l’infirmière que je rentre chez moi, ma santé toujours précaire exigeant un sommeil sûr. On me fait signer une décharge, me demande d’être là le lendemain à 8h pour les examens. Je saute dans un taxi et me voilà chez moi ! Quel bonheur après 4 jours !!

Jour 5

Le lendemain j’arrive comme prévu à 8 heures du matin à l’hôpital. Les examens ne sont pas avant 17h me dit-on !!  C’était la 2ème fois qu’on décalait ces fameux examens sans prévenir ! Passablement remonté, je me sens à présent suffisamment d’aplomb pour affronter la tenniswoman au 3eme set !  On me dit que le médecin passera dans la matinée. Je retourne alors à ma chambre pour l’attendre, salue mon nouveau voisin. Le brave homme m’informe qu’il a déjà passé un mois dans ce service, et qu’il y revient aujourd’hui pour un temps indéterminé….  alors que moi après 4 jours, je ne  tiens déjà plus en place !! Serais-je encore follement impatient à 47 ans ou tellement épris de liberté ?

Il y a 25 chambres dans ce service de pneumologie. L’on y vit comme hors du monde, entièrement entre les mains du Médecin qui règne ici en maitre absolu et omniscient. Personne, ni les infirmières et encore moins les patients ne semblent discuter ses décisions.  Si un patient se rebiffe, c’est seulement contre une infirmière.

Le médecin passe à midi. Un homme cette fois-ci. Grand, en costume, se tenant très droit, parcourant son service et ses malades comme De Gaulle ses troupes. Arrivé à mon lit,  l’infirmière qui l’accompagne lui signale timidement que je souhaite ardemment rentrer chez moi. Il me dit que je peux sortir, les examens prévus n’étant plus indispensables…! A cours de répartie, je remercie mon libérateur qui est déjà reparti…

Fin du match par abandon au 3eme set !

Avant de récupérer mon dossier, on m’invite à  régler les formalités de sortie. Je passe au bureau où l’on me présente l’addition : 5000 euros ! « 1000 euros par jour », m’informe la préposée… En sortant de l’hôpital avec mes radios et mon ordonnance pour acheter des antibiotiques, je songe qu’en temps cumulés j’ai du passer moins de cinq minutes avec les médecins, et que si je n’avais pas fait le forcing  pour sortir, on allait bien me garder 2 ou 3 jours de plus en décalant toujours au lendemain mes hypothétiques examens ! Soit 7 jours au lieu des 2 nécessaires pour me remettre d’aplomb…et j’imagine la note effarante pour les patients longue durée comme mon voisin de chambre

– « C’est l’assurance qui paie » me rassure-t-on.

Certes me dis je, mais qui paie l’assurance ?