État de grâce

État de grâce

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! Charles Baudelaire, L’albatros, Au petit soir, j’amerrissai à Buenos Aires tel un albatros, fatigué par sa traversée et heureux de son voyage. Après avoir longé la ville pendant plus de trois heures, pour rejoindre la rivière Tigre au fond du delta du Rio de la Plata, j’embouquai le premier canal à gauche, dans le quartier de San Isidro. Pablo, un ami argentin, me l’avait conseillé pour aborder cette capitale tentaculaire. C’est un quartier paisible, un tantinet bourgeois, mais avec quand même des bars intéressants et tout ce qu’il faut à proximité, m’avait-il dit d’un œil complice. Le canal était encombré de voiliers. Ils étaient serrés comme des sardines et ne me laissaient nulle place pour accoster. Sur les berges, il n’y avait personne pour répondre à mes « Hola ! », personne non plus sur le canal 16 de ma VHF. Il était presque 19h ce dimanche, et c’était peut-être l’heure de la sieste. Au bout du canal, je fis demi-tour, et m’apprêtais à rejoindre le Tigre quand j’avisai, juste avant la sortie, une place libre. Probablement le ponton d’accueil du Club Nautico San […]

Conquistadors

Conquistadors

Parmi les mille préparatifs d’un voyage autour du monde, il ne faut pas oublier de faire le plein de livres. Car on ne sait jamais quand on recroisera une librairie amie. Mon bateau était amarré au Vieux Port de Marseille, en face du quai Rive Neuve, là où se trouve La Cardinale, la mythique librairie maritime. Entre une visite chez le voilier ou l’accastilleur, j’y passais presque tous les jours acheter deux ou trois livres parmi la vingtaine que je feuilletais. Parfois je remontais la Canebière, et me rendais chez Maupetit, puiser dans le rayon littérature de voyage, quelques récits de voyageurs terrestres. Je m’imaginais déjà tranquillement allongé dans le cockpit, un livre à la main, tandis que mon bateau faisait voile sous les doux alizés océaniques, vers un ailleurs rêvé. Un an plus tard, alors que j’abordais la côte sud-américaine, j’ai été surpris de constater que beaucoup de mes lectures parlaient de la manière déplorable dont l’Occident a conquis le monde. Il semble qu’il y ait, parmi les écrivains voyageurs, un consensus sur le sujet. Je vous recommande particulièrement « Le Papalagui » de Eric Scheurmann, les récits d’Alain Gerbault et de Stevenson sur les sociétés traditionnelles polynésiennes, « […]

A quoi bon

Avez-vous déjà entendu cette chanson de Boris Vian écrite en 1955, « La complainte du progrès » ? Un aspirateur, une tourniquette à faire la vinaigrette, des draps qui chauffent, un pistolet à gaufres, …. Et nous serons heureux ! L’écologie étant devenue notre nouvelle conquête, on pourrait à présent changer les paroles en : un panneau solaire, un échangeur thermique, une voiture électrique, …. Et nous serons écolos ! Nos parents ont couru en leur temps un lièvre qu’ils n’ont jamais pu attraper. Est-ce que la génération actuelle atteindra son objectif écologique ? Je le lui souhaite de tout mon coeur. Mais pour avoir une chance d’y parvenir, elle doit avant tout se poser les bonnes questions. Quand je quittai l’école à 20 ans sans diplôme en poche, pour, disais-je autour de moi, tenter de comprendre le monde dans lequel je vivais, on m’incita à consulter un médecin. J’y allai. Celui-ci diagnostiqua un « A quoi bon ». En effet, les études ne m’intéressaient pas, le travail non plus. Il avait posé son diagnostic, mais aucun remède à proposer. Alors je partis découvrir le monde. Il me suffisait de travailler deux mois pour couvrir mes dépenses d’une année. En […]

Coup de foudre sur un marin

Coup de foudre sur un marin

Une des choses les plus difficile à vivre pour un marin solitaire, c’est de reprendre la mer après un coup de foudre. On embarque un passager fantôme sur son bateau, qui peut vite se montrer envahissant, et difficile à débarquer si le temps se gâte. J’ai rencontré C…. sur la plage d’Ipanema à Rio de Janeiro. Elle était seule, en train de lire sur un transat, dans l’une de ces gargotes qui jalonnent la plage. Je l’ai observé pendant plus d’une heure en sirotant ma caïpirinha. Par bonheur, elle ne portait pas ces horribles maillots de bain « string », qu’adoptent toutes les Brésiliennes quel que soit leur âge, et qui laissent, au regard de l’esthète, aussi peu de place à l’imagination qu’un discours d’Emmanuel Macron. Elle avait un adorable bikini rouge, une couleur qui a toujours eu le don de m’hypnotiser. Puis, peu avant le coucher du soleil, elle rangea ses affaires et passa devant moi. Au livre qu’elle tenait dans ses mains, « Conquistadors » de Eric Vuillard, j’observai qu’elle était francophone et amatrice de bonne littérature. Deux raisons supplémentaires, s’il était besoin, pour l’aborder. Je ne suis pas de ces Français qui bondissent sur leurs compatriotes quand […]

Le long des côtes du Brésil.

Le long des côtes du Brésil.

C’est à la marina Jacaré près de João Pessõa que je posai enfin un pied, puis deux, sur le continent sud-américain. Et s’il n’y avait pas eu autant de monde sur le ponton d’accueil, j’y aurais volontiers ajouté les deux mains et le front tant j’étais ému. Une autre partie du monde s’ouvrait à moi, une alchimie de cultures latines, indiennes et noires. Un monde totalement métis, une modèle de ce que pourrait être la planète si on abolissait les frontières. C’était une marina comme en rêve tout voyageur, simple et fonctionnelle. Tenue par deux français, ex-globe trotteurs ayant jeté leur ancre, ils savent vous apporter l essentiel sans vous encombrer du superflu. Rare ! Et pour ne rien gâter, Jacaré se trouvait au croisement de deux routes de grands voyages. Celle venant d’Afrique du Sud ou de Saint Hélène pour remonter vers les Antilles, et celle descendant du Cap Vert pour aller vers le Cap Horn. En conséquence, on y rencontrait au bar des marins au long cours et obtenait, moyennant une ou deux tournées de rhum, une mine d’informations pour la suite du voyage. Pourvu de toutes les recommandations jusqu’en Patagonie, je quittai Jacaré quelques jours plus tard […]

Gilet jaune,mon frère

Gilet jaune, j’entends que tu manifestes en France, que tu te plains des augmentations d’ impôts, et des taxes en tout genre, de la hausse du coût de la vie, de la baisse de ton pouvoir d’achat. Tu dis ne plus pouvoir joindre les deux bouts, et être obligé de bouffer de la merde pour vivre. Tu te plains d’être de plus en plus pauvre au lieu d’être de plus en plus riche comme c’était prévu par la croissance. Ta colère, dis tu, c’est le vase qui déborde, car cela fait des années voire des décennies qu’il se remplit de toutes tes déceptions. Moi, je suis un français résidant au Mali. C’est un poste d’observation particulièrement intéressant dans cette affaire. Dans ma cour à Bamako, nous avons un poste de télévision public, où les désoeuvrés se retrouvent le soir (j’ai limité la jauge à 20 places si c’est ta question…). Nous recevons les chaines francophones comme TV5 monde et France 24, qui nous informent de ce qu’il se passe en France en temps réel. Alors sache que les Gilets jaunes sont devenus un sujet qui nous passionnent ici, et les commentaires vont bon train dans le public, surtout lors des […]