Dadji, une traversée de l’Afrique de Dakar à Djibouti

Dadji, une traversée de l’Afrique de Dakar à Djibouti

Première étape, le Sénégal

Qu’auriez-vous fait à ma place ? Quand une jolie femme vous écrit sur Messenger : 

« Bonjour, j’ai eu votre contact par un ami commun. Je projette de traverser l’Afrique de Dakar à Djibouti et aimerais faire étape dans votre Campement lors de mon passage à Bamako ? »

J’ai d’abord cru qu’un copain avait créé un faux profil pour me faire une blague. Je me suis ensuite demandé si je rêvais. Depuis combien d’années n’avais-je pas reçu de demandes de la part de voyageurs transsahariens ? Dix ans ? Quinze ans ? Je ne sais plus ! C’était pourtant l’objet initial du campement écotouristique que j’ai construit en périphérie de Bamako dans les années 2000.

Par précaution, je répondis sur un ton dubitatif :

« Tu vas vraiment traverser l’Afrique ? Quoi qu’il en soit, c’est avec plaisir que nous t’accueillerons au Campement. »

C’est ainsi que démarra ma correspondance avec Élodie qui devait m’amener quelques mois plus tard à l’accompagner de… Saint-Louis du Sénégal à Djibouti !

L’idée d’Élodie était de suivre le trajet de la Grande muraille verte, un projet panafricain initié en 2007 par le président sénégalais Abdoulaye Wade pour lutter contre la désertification, et d’aller à la rencontre des paysans et autres acteurs de ce projet en utilisant les « moyens du bord » : pieds, vélo, charrette, chameau….

Ce qui m’avait particulièrement séduit lors de nos premiers échanges, c’était son manque de préparatifs ! Élodie ne voulait pas encombrer son aventure par trop de détails techniques, bien loin des professionnels de l’aventure, qui, de Mike Horn à Inox Tag, sont si préoccupés par le marketing de leur expédition que l’on se demande s’ils sortent vraiment de leur bulle ! Élodie se préparait dans sa tête, comptant avant tout sur sa bonne étoile et les rencontres — dont je faisais partie —, ce qui était déjà une façon très africaine de voyager !

Je tiens à préciser ici que je ne cautionne pas les exploits en tout genre qui sont devenus à la mode depuis que l’on peut exister sur les réseaux sociaux. Combien sont prêts à faire les pitres pour se faire remarquer ?! Après nous avoir vus traverser l’Afrique d’ouest en est, peut-être voudront-ils surenchérir en la traversant en diagonale, à reculons, sur un pied, ou sur les mains ?! Excepté peut-être pour quelques followers désœuvrés, c’est parfaitement inutile ! Et surtout ridicule quand on voyage à l’étranger ! La planète n’est pas un cirque bon sang !

L’aventure d’Élodie n’avait rien d’un exploit sportif, même si une bonne résistance à l’effort, à la chaleur, à l’inconfort et aux amibes était conseillée, même si certaines situations pouvaient s’avérer extrêmes. La plus grande difficulté consisterait à louvoyer entre les restrictions sécuritaires, à pouvoir distinguer les bons des mauvais conseils (dans un domaine où personne ne se prive d’en donner), à savoir écouter tour à tour son instinct ou sa raison. Mais ce ne sont là que les contraintes inhérentes à tout voyage digne de ce nom.

Le véritable problème, c’était le calendrier. Nous étions en octobre 2022. Les militaires avaient pris le pouvoir au Mali, au Burkina Faso, et le Niger n’allait pas tarder à suivre. La France avait très mal réagi à ce changement soudain auquel elle n’était visiblement pas préparée et engageait un bras de fer avec les putschistes. Le président Macron jouait avec le feu sur un Sahel prêt à s’embraser — « chauffé à Blancs », si je puis dire —, sous le regard inquiet et impuissant des Français vivant sur place.

C’est dans ce contexte explosif qu’Élodie avait commencé son périple à Nouakchott, où se trouvait le siège de la Grande muraille verte. Elle avait rencontré les responsables et pris les contacts des chefs d’agence des onze pays concernés : Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Éthiopie, Érythrée et Djibouti. Que du beau monde ! À la suite de quoi, elle avait acheté un vélo d’occasion aux « arrivages » (le marché des rebuts de l’Occident) de Nouakchott et pris la route de l’Espoir en direction des rives du fleuve Sénégal. Elle devait rejoindre Saint-Louis dans quelques jours, en passant la frontière à Rosso.

Moi, vous me connaissez, sous mes airs d’ours et de butor, se cache un garçon romantique et attentionné. Étant installé à Bamako, j’avais tout d’abord proposé à Élodie de l’escorter sur la partie malienne, qu’elle prévoyait de traverser à vélo, puis, au fil de nos échanges, j’étais tenté de venir assister à sa cérémonie officielle de départ à Dakar. Finalement, je décidai d’aller la retrouver encore plus en amont, à Saint-Louis du Sénégal, où j’avais justement un ami cycliste qui venait de s’installer. Elle accepta avec enthousiasme cette délicate proposition.

Saint-Louis, c’est la ville romantique par excellence, tout au moins pour les Français qui y ont tant de beaux souvenirs. Ancienne escale de l’aéropostale, Saint-Exupéry et Mermoz se retrouvaient à l’hôtel de la Poste, juste à côté du pont Faidherbe, qui relie l’île de Saint-Louis au continent. Depuis quelques années, les vieilles maisons coloniales du centre-ville sont réhabilitées et se transforment en boutiques, musées, cafés ou maisons d’hôtes pour le plus grand bonheur des touristes. La programmation culturelle est riche, le décryptage mémoriel de la colonisation fait son chemin, dessinant l’Afrique du futur.

Quelques jours plus tard, je débarquai à l’aéroport de Dakar, et sautai dans un taxi pour Saint-Louis, à trois heures de route de là. Le Sénégal dispose de nouvelles infrastructures, d’un aéroport XXL et des bretelles d’autoroutes qui contournent Dakar, évitant ainsi d’arriver vingt-quatre heures en retard à un rendez-vous, ce qui était fréquent il y a quelques années. Le pays a soif de modernité, objectif que le président Maki Sall poursuit à marche forcée… Probablement un peu trop forcée si l’on en croit le résultat de l’élection présidentielle un an plus tard !

Je retrouvai Élodie qui était descendue dans une charmante maison d’hôtes dans la vieille ville de Saint-Louis. Le courant passa aussitôt entre nous, alimenté par nos centrales solaires respectives. Lionel, mon ami de Saint-Louis que j’avais contacté au préalable, était allé à vélo avec Brahim, un champion sénégalais de cyclisme, rencontrer Élodie à Rosso. Puis, ils l’avaient escortée sur la centaine de kilomètres qui séparent Rosso de Saint-Louis. Lionel était un associatif engagé — voire enragé ! — qui combinait les raids à vélo et les actions écologiques, comme la conception et la fabrication d’un cuiseur économique, meilleur outil selon lui pour lutter contre la désertification. Élodie et Lionel étaient donc à peu près dans la même branche alliant les défis sportifs, l’engagement écologique et l’aventure humaine. La différence était qu’Élodie était une charmante petite blonde tandis que Lionel était le sosie de Mr Propre !

Le lendemain, nous discutâmes ensemble du parcours d’Élodie au Sénégal. Lionel connaissait mieux que personne les routes praticables à vélo, tandis qu’Élodie recensait les projets en lien avec la Grande muraille verte qu’elle voulait visiter. Elle devait ensuite atteindre la frontière malienne, non loin de Kéniéba, où j’irais alors la rejoindre avec mon véhicule depuis Bamako. Elle allait rouler seule à travers le Sénégal pendant un mois, dormirait chez l’habitant ou dans les locaux des Eaux et Forêts s’il y en avait.

J’admirais chez Élodie le courage et la résistance physique que cela nécessite chaque soir, après une journée éprouvante à pédaler sous le soleil africain, de ne pas savoir où et dans quelles conditions elle allait pouvoir se reposer. À 20 ans on peut dormir n’importe où, mais à 50, on a le sommeil plus fragile. C’est la raison pour laquelle, pour ma part, je préférais décliner la plupart des offres d’hébergement émanant de broussards sous-équipés.

Pour corser le tout, le vélo qu’Élodie avait choisi pour traverser l’Afrique était un vieux clou bricolé par toute une génération d’Africains ! Elle s’était fait rouler à Nouakchott, car les arrivages supposent que le matériel arrive directement d’Europe ou tout au moins d’un pays où l’on ne rafistole pas à l’infini. Cela tenait du miracle qu’il roule encore, le genre de miracle qui repose entièrement sur la foi des réparateurs !

Elle l’avait choisi pour sa couleur, me dit-elle : verte, comme la muraille.

La cérémonie de départ officiel de son aventure qu’elle avait dénommée « Dadji » — pour Dakar-Djibouti — devait avoir lieu à l’Oceanium de Dakar, en présence de son fondateur et grande figure africaine de l’écologie, Haïdar el Ali. D’origine libanaise, Haïdar a grandi au Sénégal où il s’est passionné dès le plus jeune âge pour la plongée sous-marine. En voyant les ravages provoqués par la pêche à l’explosif, il a ressenti le besoin et l’urgence de s’impliquer dans la protection de la mer en particulier et de l’environnement en général. Il s’investit notamment dans la restauration de milliers d’hectares de mangroves dans le delta du Sine Saloum, au sud de Dakar, et la protection des forêts de Casamance contre les coupes illégales de bois.

Le succès de ses initiatives le rendit très populaire au Sénégal, à tel point que le président Macky Sall le nomma ministre de l’Environnement en 2012, puis ministre de la Pêche en 2013. Hélas, les puissants lobbies de la pêche obtinrent rapidement sa démission, car il refusait les pots-de-vin et défendait une pêche durable. Saluons néanmoins l’initiative du président Sall qui eut le courage de nommer un écolo incorruptible d’origine étrangère dans son gouvernement. Peu de présidents africains ont encore osé le faire ! Pensez ! Un empêcheur de bouffer en rond ! En guise de lot de consolation, le président Sall nomma plus tard Haïdar el Ali directeur de la Grande muraille verte sénégalaise, une raison supplémentaire d’organiser la cérémonie de départ de Dadji à l’Oceanium.

Ce fut une belle soirée. Haïdar a des talents de conteurs qui donneraient des complexes à Pierre Rabhi ! Lors du discours d’Élodie, en présence de quelques expatriés dont plusieurs responsables d’ONG impliquées au Sahel, on sentait dans l’assistance une certaine incrédulité : ils n’imaginaient pas que cette petite blonde sur son vélo pourrait un jour atteindre Djibouti, et s’attendaient probablement à la voir rebrousser chemin avant d’arriver au Mali !

Il faut dire qu’il règne une atmosphère un peu particulière dans la communauté expatriée de Dakar. Depuis une dizaine d’années, les problèmes sécuritaires au Sahel ont incité la plupart des organisations occidentales à transférer leurs équipes à Dakar, pour ne laisser dans les pays du Sahel que du personnel local. Ils pilotent leurs projets depuis leurs bureaux du quartier chic des Almadies, situé sur la pointe la plus à l’ouest de l’Afrique (d’où leur nom d’Occidentaux !), où règne comme par hasard un microclimat agréable comparé à la fournaise qui sévit à l’intérieur des terres ! Les prix des logements et des restaurants sont plus élevés qu’à Paris et le mode de vie ressemble beaucoup à celui que l’on peut trouver à Washington, Genève ou Bruxelles, avec tous ces fonctionnaires internationaux esseulés. En définitive, au lieu de s’adapter au terrain sur lequel ils sont envoyés, les expatriés préfèrent le transformer en terrain connu. C’est moins fatigant !!

Le lendemain matin, les infatigables Lionel et Brahim repartirent à vélo à Saint-Louis, tandis qu’Élodie et moi allâmes passer quelques jours dans le delta du Siné Saloum, pour visiter le projet de restauration des mangroves de Haïdar et aussi pour nous retrouver seuls, avouons-le ! La muraille verte peut bien l’attendre encore quelques jours non ?

Puis, le jour du grand départ arriva, tant attendu, tant redouté, mais inéluctable comme le destin… Élodie m’accompagna à l’aéroport. Je rentrai à Bamako tandis qu’elle se lançait dans la grande aventure. C’est avec une boule au cœur que nous nous séparâmes, avec pour point de mire nos retrouvailles à la frontière malienne prévues un mois plus tard.

La voir ainsi partir à l’aventure me rappelait mes jeunes années, quand je traversais l’Afrique avec mon sac à dos, comptant chaque soir sur l’hospitalité africaine. Celle-ci ne me fit jamais défaut, et j’étais sûr que de ce côté-là, trente années plus tard, rien n’avait changé sous le soleil africain. L’émission J’irai dormir chez vous ne passionnerait pas les foules ici, tant tout le monde vous invite à dormir chez lui quand vous êtes un voyageur étranger ! C’est plutôt notre regard d’Occidentaux qui a changé. Parce que nous préférons vivre dans le monde virtuel que nous avons créé plutôt que dans un monde réel créé par on ne sait pas qui  !

A Dakar avec Lionel
A l’Oceanium de Dakar
Avec Haidar el Ali

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