Des problèmes de santé et des ennuis mécaniques m’amenèrent à faire une escale de plusieurs semaines à Papeete. Mon bateau et mon corps avaient tous deux décidé de faire une halte. La marina de Papeete, où sommeillent paisiblement une cinquantaine de voiliers, se situe en plein centre-ville. Elle jouit d’une proximité agréable avec les établissements chics de la ville, boutiques, bars et restaurants. Bien que Papeete soit un important port commercial du Pacifique, il y règne une atmosphère débonnaire, semblable à celle des petits ports de plaisance en métropole. Il semblerait que le style polynésien parvienne à imposer son suave tempo à cette brutale activité économique. C’était la première fois depuis mon départ de Marseille, il y a quatre ans, que je reprenais vraiment contact avec mes compatriotes et leurs préoccupations du moment. J’écoutais le journal de France Inter en podcast le matin à la radio, entamais des conversations de comptoir au café du coin et participais parfois à des discussions animées à l’apéro en fin de journée. Je me rendis compte à quel point j’étais déconnecté. Je m’étais absenté quelques années à peine, mais entre-temps, le monde avait basculé. Je me demandais si un voyageur qui reviendrait après un […]
À mesure que nous avions approché la terre, les insulaires avaient environné les navires… Tous venaient en criant « tayo », qui veut dire ami, et en nous donnant mille témoignages d’amitié… Arrivée de La Boudeuse et de L’Étoile à Tahiti le 7 avril 1768.Extrait du Voyage autour du monde de Bougainville Malgré l’envoûtante atmosphère des Tuamotu, la solitude, qui ne cessait de me poursuivre depuis ma traversée du Pacifique et m’avait un temps oublié aux Marquises, me rattrapa. J’appareillai pour Tahiti.« Tahiti ! Perle du Pacifique ! le monde entier connaît ton nom chantant ! Tu es la plus grande, la plus haute, la plus peuplée et la plus riche des îles polynésiennes ! Il y a deux cent cinquante ans, plus que toute autre, tu as su séduire Cook et Bougainville. » Ils y trouvèrent une population splendide, accueillante et joyeuse en diable, de la nourriture et de l’eau douce à profusion. Tahiti symbolisait pour eux le bonheur et la douceur de vivre. Après trois jours de navigation, j’arrivai au petit matin dans le port de Papeete. Des navires à grande vitesse fonçaient vers les îles, des avions frôlaient le haut du mât, des vedettes et des jet […]
… se touchant le crâne, en criant « J’ai trouvé ! »La bande au professeur Nimbus est arrivéeQui s’est mise à frapper les cieux d’alignement,Chasser les dieux du firmament. Le grand Pan, Georges Brassens Un matin, j’entendis un air que je connaissais bien. Ce petit air qui pénètre à pas feutrés dans votre esprit, votre cœur, vos veines, et qui vous invite à mettre les voiles sans tarder. Son nom : l’appel du large. Quelques heures plus tard, j’informai Teiki de mon départ prochain. Il ne s’en étonna pas et ne fit pas mine de me retenir.Au contraire, il décida sur-le-champ d’organiser une fête à tout casser ! « Tu ne pourras partir qu’après avoir dit au revoir à tout le monde : les amis, la famille et les dieux », me prévint-il. Pour cela, il allait lancer les invitations pour le week-end suivant. En prévision du festin, nous allâmes tuer un cochon et quelques chèvres dans les montagnes. La famille viendrait en bateau avec les boissons… Ça promettait ! Tout en préparant mon départ prochain, je m’étonnais qu’un peuple qui ne voyage presque jamais en dehors de son archipel, un peuple si éloigné des routes fréquentées – qui sait parfaitement qu’un voyageur qui part n’a que […]
… Voici la terre Tahiti. Mais où sont les hommes qui la peuplent ? Ceux-ci… Ceux-là… Des hommes Maori ? Je ne les connais plus : ils ont changé de peau. Victor Segalen, Les immémoriaux, 1907. Après une semaine de navigation, l’île de Hiva-Oa était en vue. Arriver aux îles Marquises, pour un voyageur, c’est comme atteindre la terre promise. Tant de légendes les précèdent. Vraies ou fausses, qu’importe, puisque c’est le rêve qui nous y a conduits. Et le rêve, en dilatant notre cœur et notre esprit, engendre l’aventure fantastique. Mais attention, l’aventure fantastique peut tourner court quand on n’y prend pas garde, ce qui arrive fréquemment aux simples touristes. Si, par exemple, sitôt débarqué à Hiva-Oa, vous demandez à voir la tombe de Brel et le musée Gauguin, sachez que leur seule évocation exaspère les Marquisiens. C’est un peu comme si on vous parlait de Neymar et Mbappé quand vous vous annoncez de Paris. Pour visiter les Marquises en évitant les écueils touristiques et découvrir cette étonnante civilisation, il n’y a rien de mieux que le voilier. Les douze îles de l’archipel sont distantes l’une de l’autre d’une journée de navigation tout au plus. Ces îles sont montagneuses et […]
Le voyage devait durer deux ans jusqu’à ce qu’il jette l’ancre à Upolu, dans les Samoa… Là, se dit-il, se trouvait sous la forme la plus pure ce qu’il avait cherché d’île en île, l’essence même de la civilisation des mers du sud – et une réponse à ce dont il avait lui-même rêvé –, une société tout entière ordonnée par une conception esthétique du monde. Ici, chaque instant de leur vie (celle des Samoans) tend imperceptiblement vers un idéal de beauté. Préface au livre de Robert Louis Stevenson, Les Pleurs de Laupepa. Après un mois de mer, j’abordai aux îles Gambier. Situé à environ 900 miles à l’est de Tahiti, cet archipel est le plus isolé de Polynésie et, par conséquent, du reste de l’humanité. Je jetai l’ancre dans la baie de Rikitéa et eus l’impression immédiate de débarquer au paradis. À peine mille habitants peuplent les sept îles de l’archipel baignant dans un immense lagon aux eaux turquoise. La plupart vivent sur l’île principale de Mangareva, les autres îles ne comptent que quelques familles. Les motu (prononcez motou) – petits îlots posés sur la barrière de corail entourant le lagon – sont inhabités. Tout cela pour dire qu’il y a de la place pour […]
Entre l’Amérique du Sud et la Polynésie s’étend le plus grand désert du monde, l’océan Pacifique. Au centre du Pacifique trône un vaste anticyclone. Il ne faut pas se fier à ces noms sympathiques, car ce sont deux géants pour lesquels l’homme est une poussière invisible. Le Pacifique est certes d’humeur moins changeante que la Méditerranée, mais ses colères sont aussi immenses que ses mensurations. Quant à l’anticyclone, imaginez une bulle de savon flottant dans les airs, comme celles que l’on voit dans certains spectacles de rue. Celle-ci est grande comme le Sahara, ses frontières sont floues et peuvent se déplacer de plusieurs centaines de miles en une journée. À l’intérieur, c’est le calme plat. La surface huileuse de la mer est parfois légèrement ridée par une imperceptible risée. Les voiles de votre bateau frémissent à peine puis retombent, épuisées de devoir porter leur propre poids. Magellan y perdit une grande partie de son équipage, mort de faim ou du scorbut après des mois à attendre le vent. Et malheur au navigateur d’aujourd’hui qui s’y retrouve pris, victime d’une panne de moteur ou n’ayant pas assez de carburant pour en sortir. Vous l’avez compris, pour cette traversée, j’avais la ferme […]